jeudi 4 août 2011

L'art de culpabiliser les victimes d'agressions sexuelles

Avertissement cet article contient des informations sur les agressions sexuelles qui pourraient être bouleversantes.

On a fait grands cas ces derniers temps des procès surmédiatisés pour agressions sexuelles notamment l’affaire DSK. Les agressions sexuelles sont devenues le sujet du jour et c’est à ce moment qu’on entend des propos assez incroyables. Il serait peut être à propos de se rappeler que la législation sur les agressions sexuelles (du moins au Québec) est assez récente et que l’on revient d’un long chemin ardu pour réclamer le respect de notre intégrité.

En effet, jusqu’en 1983, ce sont les règles du common law (code de loi britannique basé sur la jurisprudence et le droit coutumier) qui régissaient les procès pour viol. D’ailleurs, la notion d’agression sexuelle n’existe pas à l’époque dans le droit. Seule la pénétration vaginale était considérée comme un viol et le viol conjugal était exclu de toute poursuite. En fait, l’expression même de «viol conjugal» n’a pas vraiment de sens à cette époque puisque par le mariage, la femme devenait la propriété de l’homme et lui devait soumission. Sous la notion de devoir conjugal, celle-ci une fois mariée donnait un consentement irrévocable à toutes les relations sexuelles que pouvait solliciter son mari.

Dans un procès pour viol, il y a à l’époque des règles de preuve de la jurisprudence qui sont extrêmement contraignantes.

La première de celle-ci est la preuve de non-consentement de la victime. Une femme violée doit donc s’être débattu le plus possible. Effectivement, sans preuve de résistance, il n’y a pas de viol selon le tribunal.

Une autre règle de preuve est la plainte spontanée. Cette preuve est issue de la croyance qu’une «vraie» victime de viol ira porter plainte et dénoncera son agresseur immédiatement.

Une autre preuve nécessaire à une déclaration de culpabilité est la corroboration, c'est-à-dire que le seul témoignage d’une femme n’est pas suffisant. Effectivement, il faut un autre témoin que la victime pour corroborer les faits, cas assez rare dans ces situations.

Une autre possibilité pour contester l’accusation est la preuve de commune renommée. En effet, l’accusé peut utiliser comme défense le passé sexuel de la victime en lien avec son consentement à l’acte reproché et sa crédibilité de témoin. Les contre-interrogatoires peuvent donc être constitués de questions sur tous les aspects de la vie sexuelle de la plaignante notamment sur sa réputation sexuelle. Si la défense réussit à convaincre que la plaignante n’est pas de bonnes mœurs, l’accusé sera acquitté

Le fardeau de la preuve est dont très difficile à fournir et à vivre. La législation de l’époque n’était pas à l’avantage des survivantes d’agressions sexuelles. En plus de cet obstacle législatif, le sujet du viol est extrêmement tabou et isole par le fait même les femmes l’ayant vécu.

C’est donc en 1983 que le législateur révise de façon majeure la notion de viol dans le Code criminel. Il crée une nouvelle infraction; l’agression sexuelle. Maintenant tout geste à caractère sexuel est visé et pas seulement la pénétration vaginale. L’immunité maritale concernant le viol conjugal est abrogée. Il dissout les règles de preuves qui causaient du tort aux survivantes et décourageait les plaintes.

Ce passé peu glorieux inspirerait de la révolte chez la plupart des gens. Une chance que tout cela n’est que du passé! Ah oui?! Nous sommes nous vraiment complètement détaché-es de ce bagage grâce aux changements juridiques? Bien qu’abrogées, en y réfléchissant un peu il me semble que les quatre règles de preuve de l’époque font écho dans notre société même aujourd’hui et freinent toujours de nombreuses victimes à porter plainte et les isolent encore.

Preuve de non-consentement

Récemment les républicains aux États-Unis ont tenté lors de la présentation de leur ''No Taxpayer Funding For Abortion Act.'' à la chambre des représentants d’interdire le financement public des avortements. Les cas de viol, d’inceste ou de danger pour la santé de la mère feraient cependant exception. Chris Smith qui a proposé le bill a cependant tenté de réduire la définition de viol à viol par contrainte (forcible rape). Ce qui veut dire que les cas où les femmes disent non mais ne combattent pas physiquement leurs agresseurs, ne serait pas définie comme des viol et donc pas couvert par l’exception. Face au tolé (heureusement) il a du retirer cette modification.


Plainte spontanée

Récemment, Enquête a diffusé un reportage sur les prêtres pédophiles et l’Église catholique romaine, et j’y ai appris que pour une poursuite au civil pour dédommagements la période de prescription est de 3 ans. (Contrairement au criminel où il n’y a pas de période de temps). Cette disposition du Code Civil rend une poursuite civile pour une agression sexuelle datant de plus de 3 ans impossible (malgré que certains procès de prêtres pédophile soient entrain de faire jurisprudence pour ne pas tenir compte de la période de prescription).


La corroboration

Même si on demande plus de manière obligatoire un témoin pour donner un jugement de culpabilité, le scepticisme et le peu de crédit qu’on donne dans plusieurs cas au survivantes d’agressions sexuelles qui osent en parler revient presque au même. Trop souvent, les policiers, le système de justice, l'entourage ainsi que les institutions où se déroule les agressions (notamment les campus scolaires) ne prennent pas au sérieux les femmes qui déclarent des agressions sexuelles.

Un cas particulièrement choquant montre les graves conséquences qu’entraîne ce mépris des autorités envers les victimes. La police de Cleveland (États-Unis) a rejeté les plaintes pour agressions sexuelles de plusieurs femmes contre Anthony Sowell. Il a fallu attendre que la police découvre 11 corps de femmes disparues sur la propriété de Sowell pour qu’ils prennent au sérieux ces femmes. Une des plaintes contre lui avait été enregistrée en 2008 avant que certaines de ses victimes ne soit portées disparues.


Commune renommée

Aujourd’hui, on parle plutôt de réputation. C’est probablement, le vestige des règles de preuve qu’on peu observer le plus. L’idée insidieuse que seule une femme qui a une bonne réputation peut être une ''vraie'' victime d’une agression sexuelle est particulièrement forte. On tente de rendre coupable de leur propre agressions les femmes en évoquant leurs passés, leurs habillements, leurs attitudes, etc. Bref, tout est bon pour dire le fameux, ''elle l’avait cherché, c’est de sa faute''. La couverture médiatique et les propos de plusieurs personnes sur des affaires d’agressions sexuelles le démontre bien :

Un cas de viol collectif sur une fille de 11 ans :
‘’Mais déjà des voix s’élèvent dans la communauté de Cleveland pour fustiger… la victime de 11 ans qui s’habillait plus vieille que son âge, fréquentait des amis plus âgés et se maquillait comme une jeune femme de vingt ans et avait une page Facebook sur laquelle elle évoquait ses dernières sorties alcoolisées.’’
Sur ce cas: Victim Blaming in Cleveland, Texas Gang Rape of 11 Year Old

Dans l’affaire DSK, on accuse notamment la victime d’être une prostituée qui vendrais de la drogue et qui aurait menti dans ces papiers d’immigration, comme si un de ces éléments faisait subitement en sorte que son consentement n’était plus important.

Un policier de Toronto a récemment fait scandale après avoir dit, durant une conférence, à des étudiantes « qu'elles n'avaient qu'à ne pas s'habiller en « salopes » si elles voulaient éviter d'être agressées sexuellement.»



Ces constats montrent que les survivantes d’agressions sexuelles bien qu’elles ne doivent plus faire face à la législation d’avant 1983, doivent toujours affronter une société patriarcale où on remet souvent en question leur crédibilité et la gravité de la violence qu’elles ont subit.


L’explication de l’ancienne législation vient de ma compréhension de…

MORIN, Annie (1998). La petite histoire d'un grand crime. Barreau du Québec, [En ligne], http://www.barreau.qc.ca/publications/journal/vol30/no10/grandcrime.html (Page consultée le 27 novembre 2010).

NÉRON, Josée (1994). «L'agression sexuelle et le droit criminel canadien : l'influence de la codification», Les Cahiers de recherche du GREMF, no 62, 250 p.

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